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Comprendre et aider l'adolescent en souffrance

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« Ma vie est une grande chambre noire »

 

Ces mots de l'adolescente morose du Bettlejuice de Tim Burton trouvent écho chez ceux pour qui l'adolescence est vécue comme un long chemin de croix. On se sent alors comme prisonnier de soi-même, de son corps en mutation, de ses doutes et craintes, de ses troubles de l'humeur et du comportement.

Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr

L'adolescence peut apparaître comme une période enviable, un temps où le monde s'offre à nous, où l'avenir est devant soi. Si la plupart des adolescents ne ressentent qu'un mal-être passager et passent au travers de cette période sans dommages, connaissant une vie de famille et des amitiés épanouissantes, une scolarité réussie et des loisirs stimulants, d'autres se sentent submergés par un sentiment diffus d'étrangeté au monde, de colère, d'anxiété, de mélancolie ou de haine de soi. 

Passerelle entre l'enfance et l'âge adulte, l'adolescence met parfois brutalement fin aux repères du jeune qui grandit, tourmenté par des questions sans réponse et se demandant ce qu'il va faire de sa vie. Certains peuvent éprouver un sentiment de perte face à l'enfance qu'il faut laisser derrière soi.

Les passages de l'exaltation à l'anxiété sont fréquents chez l'adolescent qui vit ses émotions avec intensité. Son état de mélancolie et ses propos désabusés, la grande variabilité de ses états émotionnels sont souvent considérés sans gravité, comme étant la norme, comme faisant partie de la crise d’adolescence. La souffrance de l'adolescent broyant du noir sans trop savoir pourquoi, mal dans sa peau dans une période où il connaît de profonds changements physiques et psychologiques,  passe plus ou moins inaperçue auprès de parents qui ont tendance à sous-évaluer ses difficultés. 

Pauline, 16 ans, a consulté son généraliste pour une angine. Après avoir observé ses yeux cernés, ses vêtements noirs, ses ongles rongés, le docteur l'a regardé fixement en lui disant : « la vie peut être belle ». Pauline en est restée muette. Cet inconnu avait perçu son mal-être, invisible aux yeux de ses proches qui ne voyait en elle qu'une ado revêche.

Lorsque la souffrance de l'adolescent devient profonde

Des difficultés scolaires, sentimentales, relationnelles, familiales, comme une fragilité accrue de l'estime de soi pourraient entraîner l'adolescent vers une sévère dépression ou un comportement à risque. Éprouvant de l'ennui, de la tristesse, les adolescents ressentent parfois une douleur morale qui leur semble insoutenable. 

L'adolescence c'est aussi le temps des risques. Quand les chagrins et revers vécus sont trop lourds à porter, la transgression des règles et l'autodestruction peuvent alors apporter une illusion de contrôle, de maîtrise de soi (de ses émotions, de ses angoisses) dans un monde perçu comme terrifiant ou défavorable. 

Mathias, 15 ans, a commencé à se taillader les avant-bras après une rupture amoureuse, parce qu'il était persuadé que c'était de sa faute si son amie l'avait quitté. 

Lorsque le mal-être devient profond, il peut s’exprimer sous diverses formes, comme une crise des limites : jeux dangereux, bagarres, fugues, absentéisme scolaire, consommation de drogues, abus d’'alcool… Si pour certains les pulsions de violence sont projetées vers autrui, elles sont chez d'autres tournées vers soi.

Face à un corps dont les transformations lui échappent, l'automutilation comme l'anorexie et la boulimie peuvent donner à l'adolescent l'impression de se réapproprier son corps. Scarifications, coupures, brûlures, morsures... ce besoin de s'infliger des blessures de manière intentionnelle lui permet d'avoir le sentiment d'agir face à un environnement devant lequel il se sent affreusement impuissant, de choisir où et comment avoir mal plutôt que de subir une souffrance qu'il ne sait pas identifier ou comprendre. 

Les comportements qui peuvent alerter sur le mal-être de l'adolescent :

  • absentéisme scolaire, décrochage scolaire, phobie scolaire
  • surinvestissement scolaire avec désinvestissement des loisirs et de la vie sociale
  • addictions : nourriture, jeux vidéos, alcool, drogue
  • troubles du sommeil 
  • troubles de l'humeur
  • somatisations : nausées, vomissements, maux de ventre, migraines, malaises vagaux
  • vulnérabilité face à la critique, au rejet et à l'échec, avec un sentiment de dévalorisation 
  • propos désabusés
  • tristesse, envie fréquente de pleurer
  • idées morbides avec ou sans évocations suicidaires
  • auto-agressivité : scarifications, brûlures, morsures
  • agressivité envers les autres, hostilité
  • difficultés dans la relation à autrui
  • attitude de retrait et d’isolement.

Des changements de comportement comme le repli sur soi, l'irritabilité, l'abandon d'’activités que l’'adolescent appréciait, la perte ou l'augmentation excessive d'’appétit, la consommation accrue de tabac et/ou cannabis et/ou d’alcool, une fatigue persistante, sont autant de signaux qui peuvent alerter sur le profond malaise de l'adolescent. Il est important de pouvoir les entendre, de ne pas prendre à la légère les appels au secours des ados (« la vie ne vaut rien », « je ne veux plus vivre ») qui peuvent être le signe avant-coureur d’une pulsion suicidaire. Particularité du mal-être adolescent, l'impulsivité est propice à un passage à l'acte imprévisible, d'où l'importance d'être vigilant à la récurrence des symptômes.

Que faire face au mal-être d'un adolescent ?

  • lui parler sans le brusquer
  • entendre ses problèmes et ressentis, sans les minimiser
  • lui proposer des occupations à son goût
  • partager, ensemble, des activités ou sorties
  • si ses difficultés persistent, l'orienter vers un spécialiste.

Le monde vu à travers des yeux d'adolescent peut paraître effrayant. Il s'agit pour l'adulte d’observer, de mettre en place un dialogue avec l'adolescent pour qu'il se sente entendu et soutenu. Le jeune en difficulté a besoin d'un entourage compréhensif, d'un espace d'expression où il pourra expliquer ce qu'il ressent. 

Une communication bienveillante avec ses parents ou d'autres adultes responsables aidera le jeune à gérer sa crise d'adolescence. Le rôle que jouera l'adulte sera déterminant dans la prévention du suicide, de l'usage de drogues, des troubles alimentaires ou de l'automutilation.

Certains adolescents pensent ne pas pouvoir trouver leur place dans une société dont ils découvrent, avec la maturité, les incohérences. Lorsque leurs relations au sein de la famille, à l'école ou avec leurs amis leur semblent compliquées ou sources de malaise, ils peuvent se sentir envahis par la tristesse, la culpabilité, la frustration ou l’agressivité. Le sens des émotions qui les submergent les dépassent.

Conseils aux parents

Il est important de saisir cette phase parfois difficile qu'est l'adolescence comme un moment privilégié de dialogue et de prévention. Des parents présents psychologiquement et physiquement, qui se rendent disponibles pour écouter leur enfant et lui parler, vont lui donner accès à une meilleure compréhension de ce par quoi il passe. 

Nous avons tous été des adolescents et sommes tous passés par ces années particulières, plus ou moins douloureuses, qui signent le passage de l'enfance vers la vie de jeune adulte. Si certains ont vécu une adolescence plutôt sereine et sans nuage, d'autres ont peut-être oublié combien ils ont pu se sentir déboussolés. 

Pouvoir se souvenir de ce que l'on a alors ressenti, de qui nous étions à cette même période de notre vie, aide à se rapprocher de son enfant. Accepter de se mettre à la place de son adolescent permet de se montrer indulgent et patient, de pouvoir le soutenir et le rassurer. Il est question de devenir son allié, et non un adversaire. Le parent a un rôle décisif à jouer dans cet épisode de bouleversements que vit son adolescent, il peut lui faciliter la tâche ou au contraire la lui compliquer.

En quête d'indépendance, l'adolescent peut chercher à imposer ses envies à ses parents, jusqu'au clash. Son désir de vivre de nouvelles expériences s'oppose parfois aux attentes des adultes qui, le voyant mûrir, le voudraient davantage responsable. L’adolescence exige des parents qu'ils accordent plus d’autonomie à leur enfant, qu'ils acceptent de vieillir à mesure qu'il grandit et devient adulte. Si on a un irrépressible besoin de se sentir libre à l’adolescence, on n'en a pas moins besoin d'être accompagné par ses parents dans ses choix, rappelés à l'ordre si on franchit des limites.  

La vigilance permet de ne pas laisser son enfant s'’installer dans une conduite destructrice. Sans trop attendre en cas de doute, les parents doivent pouvoir faire un point sur la situation avec un spécialiste. Il s'agit de tout mettre en œœuvre pour sortir son adolescent de cette impasse, de lui signifier qu'on voit qu'il va mal, qu'il se fait du mal, de lui rappeler qu'il compte énormément pour nous et qu'il peut s'appuyer sur nous pour traverser ces moments difficiles.On peut également lui  proposer l'aide d'un thérapeute.

L'’attitude des parents est conséquente durant ces années fondamentales de la construction de la personnalité de l'individu, il est essentiel de tenir bon. Comme pour un grand chagrin, il faudrait pouvoir dire à son enfant que ses coup de blues et inquiétudes face à l'avenir finiront par passer. 

Pour certains adultes, l'adolescence demeure présente en toile de fond, ayant laissé des cicatrices sur leur peau comme autant d'empreintes d'une époque où ils se sont cherchés en franchissant de nouvelles limites, en jouant avec les interdits. Ceux là peuvent témoigner à leur enfant qu'on s'en sort. On guérit de son adolescence.

 

Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr

 

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