Je ne veux pas que mes parents meurent

La peur de perdre ceux qu'on aime est humaine. Si quelques-uns l'occultent dans un déni plus ou moins conscient, certains (par philosophie ou croyances religieuses) s'accommodent de cette fatalité, mais d'autres sont dans l'appréhension anxiogène et épuisante que la mort puisse leur enlever leurs parents.

Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr

La crainte d'affronter le vide qui suivra le décès de ses parents peut générer un profond désarroi, une émotivité exacerbée, des insomnies, etc. Comment envisager de survivre à leur disparition, lorsqu'à cette pensée on a l'impression que le monde pourrait s'écrouler ?

Perte des parents et angoisse de la séparation

Edgar (9 ans) répète chaque jour à ses parents combien il les aime, et que sa plus grande peur est qu'ils meurent. Ses besoins affectifs et sa demande d'attentions sont immenses. Edgar ne supporte pas l'idée qu'un jour ses parents ne soient plus là pour lui. Il ne s'imagine pas devenir grand et quitter la maison. Depuis tout petit, ayant compris que ses parents n'étaient pas éternels, la peur de se retrouver sans eux l'obsède. Comprenant que la vie est éphémère et que ses parents sont voués à mourir un jour, il a du mal à se séparer d'eux.

La plupart du temps, nos parents sont (lorsque le contexte est favorable) les piliers sur lesquels nous construisons les bases de notre vision du monde. Devenir autonome est dans l'ordre des choses, comme le fait que notre mère et notre père doivent partir avant nous. Vivre la perte de toute-puissance de ses parents, en réalisant qu'ils sont mortels, s'avère un cap délicat selon la sensibilité et la personnalité de chacun.

Le « sandwich affectif »

Depuis qu'elle a quitté le foyer familial, Jasmine reste joignable jour et nuit. Au fil des années,  savoir ses parents vieillissants la terrorise, des pensées intrusives la paralysent. Devenir maman l'a plongée dans la mélancolie. Ses jumeaux si fragiles, Jasmine s'est demandée ce qui leur arriverait si elle n'était plus là, et elle a compris combien ses parents avaient dû s'inquiéter pour elle. Elle ne peut accepter de voir ses parents s'user. Elle mesure qu'elle aussi mourra un jour et devra laisser ses fils, et les faire souffrir.

Quand nos parents en sont au stade où ils enterrent des amis, des frères et des sœurs, que nos proches ont perdu un père ou une mère, notre peur peut se réveiller. Revoir les photos de son enfance se révèlent parfois déstabilisant, voire éprouvant. Parce que nos parents étaient encore jeunes et avaient la vie (notre vie) devant eux, les larmes peuvent monter aux yeux. Alors, on n'imaginait souvent pas qu'ils pouvaient tomber malade ou pire, mourir.

Annick ne veut plus écouter de chansons sur l'absence paternelle, ni ne veut entendre parler de la fête des pères. Le sien est décédé voilà dix ans mais la plaie reste béante. Mère d'une fille qu'elle a élevée seule, elle a longtemps tremblé à la possibilité que la mort la fauche précocement. Aujourd'hui grand-mère, son cœur est ballotté entre plusieurs étages affectifs : elle se fait du souci pour sa mère âgée, sa fille et son petit-fils. Elle aimerait partir avant les siens.

Lorsque l'angoisse devient pathologique

Craindre la mort de ses parents, malades ou vieillissants, est légitime. Cependant cette peur devient problématique et tourne à la névrose lorsqu'elle est obsessionnelle au point d'empêcher la personne de vaquer à ses occupations, de fausser ses relations à autrui, ou d'être transmise à ses proches (parents ou enfants). Les idées morbides, la représentation visuelle ou l'anticipation de ressentis douloureux peut faire de la vie un enfer émotionnel, et conduire à un état dépressif. Paradoxalement, cette angoisse de mort peut dissimuler une peur de vivre, et d'accepter l'inévitable perspective de sa propre finitude.

Yanel vit dans la terreur de voir ses parents mourir, ses pensées l'envahissent et prennent toute la place dans son quotidien : il passe ses week-ends avec ses parents, il leur téléphone matin et soir et, pris de panique s'ils ne répondent pas ou l'appellent à des heures inhabituelles, s'imagine aussitôt le pire. Yanel perd un temps considérable à s'inquiéter au lieu de prendre sa vie en main.

Quelques pistes pour gérer la peur de perdre ses parents

Être en paix avec soi et ses parents permet d'appréhender plus sereinement leur mort. Au-delà du refus d'une relation qui s'achève, c'est souvent la sensation d'inachevé qui empêche de faire son deuil. Dire, de vive voix ou au travers d'une lettre, tout ce qui doit être dit (pour régler d'éventuels différends, faire taire un sentiment de culpabilité), fait que la boucle peut se boucler. Accompagner ses parents tout au long de leur vie, c'est aussi les aider à aborder sereinement l'idée de leur fin de vie. Donner l'occasion à ses parents d'exprimer leurs dernières volontés peut s'envisager comme un acte d'amour. Ces moments d'écoute et de parole sont l'opportunité de partager des souvenirs communs et de faire savoir ce que l'on ressent pour eux, ce que l'on apprécie chez eux, de sorte à n'avoir ni regret ni remords le moment venu. Ces échanges peuvent être compliqués à vivre, d'une intensité émotionnelle inconfortable, mais assurez-vous de transmettre ce qui vous tient à cœur : vos parents et vous-mêmes en ressortirez apaisés.

Lettre de Lila, 45 ans : « Papa, maman, je vous aime tant. Je vous admire pour votre résistance aux épreuves de la vie, je vous suis reconnaissante pour avoir fait de votre mieux et voulu mon bonheur. La mort ne devrait pas exister, ou alors on devrait tous pouvoir partir en même temps. Je n'ai pas été parfaite et vous avez sans doute commis des erreurs, et c'est cela la vie, il n'y ni mode d'emploi ni brouillon. Je prends votre amour et vous donne le mien. »

Le départ des êtres aimés, inhérent à l'existence, est inéluctable. Le remède à la mort n'existe pas, et il n'y a pas d'âge pour y penser ou y passer. Accepter ses peurs les plus intimes et exprimer les pensées difficiles qui y sont liées peut libérer des sentiments refoulés de tristesse. Mais il s'agit de ne pas enterrer prématurément ses parents : rien ne dit qu'ils ne puissent vivre longtemps. Pourquoi ne pas se réjouir et profiter du bout de chemin que l'on peut (aujourd'hui) passer avec eux pour multiplier les moments heureux ? Se concentrer sur l'instant présent et sur ce que l'ont peut contrôler, être dans l'action, sans se projeter sans cesse dans le futur, écartent l'anxiété et les incertitudes. Définir et poursuivre des objectifs, s'attacher à une quête de sens, c'est se focaliser des attentes et s'ancrer dans la vie.

La capacité à surmonter et absorber la perspective du choc d'un deuil familial relève d'une expérience très personnelle. Reconnaître que la perte d'un être cher est une épreuve difficile, se dire qu'on n'est pas le seul à s'en inquiéter, cela aide à comprendre, accueillir et approuver ses émotions.

Par Aouatif ROBERT | psytherapieparis.fr

 

Aller plus loin :

5 bonnes raisons, et plus, de voir un psy

Mon approche thérapeutique